Nos amis du rayon jazz de Gibert Joseph Paris VIe (26, Boulevard Sant-Michel) viennent de recevoir une série de rééditions CD de Flying Dutchman, le label créé par Bob Thiele en 1969. Doc Sillon a craqué sur Esther Marrow et Jimmy Gordon.
Est-ce vous qui étiez à côté de moi hier chez Gibert, le “sanctuaire” comme disent les habitués ? Ne niez pas, je vous ai vu loucher sur les rééditions à 9,84 € (fini le temps des “imports japs” à prix casse-tirelire !) du label Flying Dutchman ! Selon vos goûts, que je sais fort éclectiques, vous avez dû craquer pour ces Gato Barbieri, Leon Thomas, Lonnie Liston Smith, ou encore ce Shelly Manne, ou bien cet Oliver Nelson à pochette proto Daft Punk (“Skull Session”).
Perso, j’ai opté pour “Hog Fat” (“Gros Porc” !) de Jimmy Gordon et son Jazznpops Band. Jim(my) Gordon est un batteur essentiel de l’histoire du rock. Ce grand stickman a joué et/ou enregistré avec les Beach Boys (“Pet Sounds”), George Harrison (“All Things Must Pass”, Derek & The Dominoes (“Layla And Other Assorted Love Songs”), Traffic (“The Low Spark Of High Heeled Boys”), Frank Zappa (“Apostrophe’”), Steely Dan (“Pretzel Logic”)… Rien que des artistes et des albums mineurs quoi ! Sans compter que les grooves qu’il distille dans le Michael Viner’s “Incredible Bongo Band” ont été samplés 6 765 458 fois, environ. (Écoutez celui d’Apache par exemple.)
Une carrière exemplaire, hélas brisée à l’orée des années 1980 non par la prolifération des boîtes à rythmes mais par sa condition mentale un rien déficiente : se plaignant d’entendre des voix, dont celle de sa mère, il tua celle-ci à coups de marteau… Depuis, Jim Gordon croupit dans un institut spécialisé, après plusieurs années passées en prison.
Il y a donc peu de chances pour qu’il soit informé de la première parution en CD de son seul et unique album personnel (à ma connaissance), “Hog Fat”, enregistré en 1969 (année électrique) avec son bien nommé Jazznpops Band, composé entre autres de Mike Melvoin au piano et Gary Coleman aux percussions (les papas respectifs de Lisa Coleman et Wendy Melvoin), Tom Scott au saxophone, Jerry Scheff à la basse et Dennis Budimir à la guitare. Un chouette disque mineur et attachant comme on les aime (du genre qu’on regrette de ne pas avoir acheté quand il est devenu introuvable…). Un pétillant mélange de jazz et de pops, of course, avec une petite touche rhythm and blues.
Et bien qu’il aurait dû être logiquement classé au rayon soul-funk (désormais juste à côté du rayon jazz…), on vous recommande d’acquérir sans attendre “Newport News, Virginia” d’Esther Marrow, qui signait en 1969 (année éclectique) l’un de ces trésors oubliés typiques de la soul music authentique – on pense par exemple à certains opus de Doris Duke, Candi Statoon ou Alice Clark. Forte de sa culture gospel et de sa technique jazz, cette disciple de Mahalia Jackson qui avait tourné avec Duke Ellington resplendissait dans ce recueil de ballades soul et de titres up tempo des plus délectables. Rien que pour les méchamment groovy Money Honey et It’s Been Long Night et les deux compositions du grand soulman des claviers Joe Zawinul (No Answer Came et Walk Tall, sublimes), sans oublier le puissant et subtil Satisfied, cet album s’impose.
Oups, dépêchez-vous, au moment où j’écris ces lignes, le facing se vide à vue d’œil ! •