Ce jeune label catalan fait une fixette sur les années 1960 et 1970 et réédite avec un soin maniaque moult trésors oubliés de la soul, du rock, de la musique brésilienne et du jazz .
Au moment où nos amis japonais mettent un (léger) frein aux rééditions paper sleeve et collector qui enchantent les collectionneurs et les music fans du monde entier, ce sont donc nos nouveaux amis catalans d’Elemental Music qui prennent le relai en exhumant des albums rares ou disparus des radars depuis des lustres. Pochettes originales (recto et verso, ça compte), détails discographiques complets, impression et pressage de qualité : les artisans indépendants prennent le pouvoir au moment où les major companies négligent de plus en plus souvent le travail de mémoire, sauf à sortir des compilations ou des coffrets luxeux consacrés à des valeurs sûres, ultimes objets du désir-disque pas vraiment à la portée de toutes les bourses, mais qui excitent au moins la convoitise de ceux qui, sans être farouchement contre le streaming, n’en apprécient guère les lacunes éditoriales et la mauvaise qualité sonore.
Mais votre Doc s’égare… Revenons à Elemental Music et ses dernières livraisons, et commençons par trois albums du génial chanteur, auteur et compositeur brésilien Caetano Veloso. Son tout premier d’abord, millésime 1968 (paru un an après celui qu’il avait gravé avec Gal Costa), et sobrement intitulé “Caetano Veloso”.
C’est l’une des pierres de touche musicale du mouvement tropicaliste naissant (cf. Tropicália et ses bouffées psychédéliques en ouverture). Le chantre de Bahia y collabore aussi avec Os Mutantes dans Eles. Quatre ans plus tard, coup d’état et régime militaire dans son pays natal oblige, Caetano Veloso est en exil à Londres, où il enregistre le superbe “Transa”.
Fasciné par les musiciens reggae qu’il découvre dans le quartier de Portobello, il compose Nine Out Of Ten, chante aussi bien en anglais qu’en portugais, et franchit un cap musical décisif (en témoigne l’ambitieux Triste Bahia, qui dure près de dix minutes).
En 1975, de retour au pays, il n’a pas oublié les Beatles. En témoigne le non moins magnifique “Qualquer Coisa”, avec sa pochette en forme de clin d’œil à “Let It Be” et ses trois reprises finement ciselées des Fab’ Four, où sa voix douce, fragile et teinté d’ironie fait merveille : Eleanor Rigby, For No One et Lady Madonna. Sa délicieuse version de Drume Negrinha (Drume Negrita) est un autre grand moment.
Place à la flamboyante, brûlante et sexy Gal Costa, dont Elemental Music a choisi de rééditer “Legal” (1970), mélange épicé de samba, de blues psychédélique (Eu Sou Terrivel), de pop zinzin et de dixieland allumé (Love, Try And Die). Aux percussions, son ami Milton Nascimento – quel luxe !
On reste au Brésil avec “A Tábua De Esmeralda” (1974) de Jorge Ben. Pas de tubes planétaires comme Taj Mahal ou Fio Maravilha, mais un disque servi par des arrangements d’une clarté lumineuse, où les instruments acoustiques dominent – guitares, contrebasse, cordes…
Retournons à Londres avec le mystérieux disque de Philamore Lincoln, “The North Wind Blew South”, paru en 1970 sur Epic (mais enregistré entre 1968 et 1969). Entre folk psychédélique et pop baroque baignée de cordes moirées, ce chanteur au timbre de voix éthéré évoque, c’est selon, Donovan ou Duncan Browne (dans le délicat et beatlesque Early Sherwood). “The North Wind Blew South” n’avait pas de chanson-locomotive, de hit record (d’où sa rapide évaporation des bacs), mais grâce à la participation de sacrées pointures de studio, sa qualité musicale s’élevait au-dessus de la moyenne. Nous ne tenons pas là un trésor oublié de la valeur d’autres opus late sixties ou early sixties exhumés sur le tard (“Five Leaves Left” de Nick Drake ou “Give Me Take You” de Duncan Browne), mais presque ! Au passage, on signale aux complétistes que Jimmy Page contribue de manière décisive à You’re The One, en nous griffant notamment un bref (mais intense) solo wah-ouaté – la section rythmique ? Jack Bruce à la basse et Jim Capaldi à la batterie. Excusez du peu.
Quittons-nous pour cette fois – on n’en a certainement pas fini avec Elemental Music ! – avec deux albums pour le moins différents : “Colours” (1968) de Claudine Longet (remember Nothing To Lose dans The Party ?), petit bibelot pop-baroque arrangé par Nick DeCaro et produit par Tommy LiPuma. Si vous collectionnez les reprises de Joni Mitchell (la tendre et mutine Claudine chante Both Sides Now) et si vous faite partie du club des hardcore fanatics de Randy Newman (qui joue du piano dans la reprise de sa chanson I Think It’s Gonna Rain Today), n’hésitez pas. Plus constrasté, le premier album de Terje Rypdal, “Bleak” (1968), où le virtuose norvégien de la six-cordes (qui s’essayait au chant et avait apporté même sa flûte pour faire son Roland Kirk) zappe entre rock à la coule (Dead Mans Tale), R&B déglingo, bossa nova (!) et free jazz énervé (le saxophoniste Jan Garbarek et le batteur Jon Christensen, futurs piliers d’ECM, comme lui, sont à ses côtés). A découvrir ou redécouvrir d’urgence. •
Elemental Music, distribution Pias