On connaît ce claviériste et guitariste anglais pour Ai No Corrida, dont Quincy Jones a fait un tube planétaire en 1981, mais les quatre albums qu’il a enregistrés au début des années 1980 regorgent de pépites R&B. Ils sont regroupés dans “Glad To Know You – The Anthology 1980-1986”.
On avait beau adorer Ian Dury, sa voix de pirate éraillée, son incroyable accent, ses paroles tordantes et ses hymnes hédonistes ; on avait beau vanter les mérites de sa musique dans la cour du lycée, répéter en boucle que “Do It Yourself” était un super disque, et que les Blockheads étaient un sacré groupe, c’est bien le claviériste (et guitariste) Chaz Jankel qui nous impressionnait le plus.
Dès 1980, on avait remarqué qu’il faisait ses propres disques. Quincy Jones aussi, qui reprit Ai No Corrida dans “The Dude”, en 1981, pour en faire un tube planétaire. (Avec Am I Honest With Myself Really ?, Ai No Corrida était l’une des deux bombes funk du premier 33-tours éponyme de Chaz Jankel.) Et puis, en 1985, l’electro-pop et funkyssime Number One tournait en boucle sur les bonnes radios FM hexagonales, et comme chair à Walkman, c’était parfait.
Le temps passant, il faut bien l’avouer, on a un peu fini par oublier Chaz Jankel. Mais en 2005, le label Angel Air eut la bonne idée de rééditer en CD le premier Chaz, celui avec Ai No Corrida. Et là, bim bam, revival ! Furieuse envie de tout (re)découvrir ! Seulement voilà : les deux albums suivants restaient compliqués à trouver en vinyle mint condition, et seul “Looking At You” fut aussi réédité en CD (en petite quantité, d’où son prix souvent prohitif). Du coup, on faisait tourner en boucle la compile “My Occupation – The Music Of Chaz Jankel” publiée par Tirk en 2007 (50 € euros en moyenne sur Discogs !). La sortie du coffret de cinq CD “Glad To Know You – The Anthology 1980-1986” chez nos amis britons de Cherry Red Records est donc un événement.
On y retrouve les quatres albums de Chaz Jankel sortis sur A&M Records (“Chaz Jankel”, 1980, “Chasanova”, 1981, “Chazablanca”, 1983, et “Looking At You”, 1983), avec un CD bonus de remixes et de raretés. Et quoique enregistrés à une époque dont les tics sonores n’ont pas toujours bien franchit le cap des ans, ils se refusent obstinément à vieillir, portés qu’ils sont par des grooves inoxydables, prodigués par des humains ou des machines. Dans les excellentes liner notes du livret signé Bill Brewster, Chaz Jankel, aujourd’hui âgé de 67 ans, rappelle qu’il n’a jamais été obsédé par l’idée de devenir un pop star, de se retrouver au centre de la scène, sous les spotlights (« En plus, j’ai toujours été terrible pour me souvenir des paroles de chansons ! »). Musicien dans l’âme, virtuose des claviers, de la guitare et maître-arrangeur, il a toujours été un authentique eaccompagnateur, un sideman dévoué, un homme de l’ombre, bien plus à l’aise en studio que nulle part ailleurs. Au service de la Musique.
Ce qui explique sans doute le soin maniaque apporté à ses productions, jamais plombées par une course en sac au hit record, même si Glad To Know You et Number One (avec des paroles, comme souvent, signées Ian Dury). Chaque album a sa propre personnalité, sa propre couleur, mais le plus époustouflant des quatre reste sans doute le premier, avec l’incroyable version originale de Ai No Corrida, qui dure plus de neuf minutes (!). Quincy Jones, qui savait la valeur des compositeurs R&B venus d’Angleterre (hello Rod Temperton…), aura beau la réenregistrer façon euper prod’ (avec notamment un certain Herbie Hancock au piano électrique), sa version ne nous fera jamais oublier l’originale. Le premier opus de Jankel était aussi marqué par l’épique Am I Honest With Myself Really ?, plus de quatorze minutes de funk progressiste – de prog funk ? – en folie, avec un Chris Hunter, futur membre de l’orchestre de Gil Evans, déchaîné au sax alto, et un Peter Van Hooke en transe à la batterie. Dans Am I Honest With Myself Really ?, Jankel, sans être évidemment un soliste du même calibre – qui l’est ? –, s’élève au niveau d’invention sonique comparable à celui du Hancock des années “Sunlight”, étalant sans frime sa maestria des arrangements pour claviers, piano et guitare. Quant aux délicats instrumentaux Peace, At Least et Reverie, ils reflètent sa grande culture harmonique et tout son amour pour les grands compositeurs français du début du XXe siècle.
Les trois autres albums regorgent aussi de pépites. 109, Glad To Know You et 3,000,000 Synths dans “Chasanova”. Without You, Pretty Thing, Davis et All I Want To Do Is Dance dans “Chazablanca”. Little Eva, Tell Me, Tell Me et Number One dans “Looking At You”.
Quant au CD bonus “ Remix & Rarities”, il démarre par une version Extended du CHICissimme 45-tours de 1986, You’re My Occupation, chanté par Brenda Jones. D’autres versions Extended (Without You, No. 1 Manhattan Mix…) vous donneront certainement envie de danser, même tout.e seul.e, dans votre salon. Merci Chaz Jankel.
COFFRET Chas Jankel : “Glad To Know You : The Anthology (1980-1986)” (5 CD Cherry Red Records, déjà dans les bacs).
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