Julien Ferté a écouté les nouvelles rééditions Deluxe de “Heaven And Hell” (1980) et “Mob Rules” (1981) de Black Sabbath, deux classiques du heavy metal enregistrés à l’époque où leur frontman se nommait Ronnie James Dio.
Qui aurait pu songer, au crépuscule des années 1970, que d’éminents membres de Rainbow et de Deep Purple allaient finir par rejoindre Black Sabbath ? Personne à vrai dire, tant ces groupes étaient pour nous, jeunes ados en quête d’émotions fortes, des entités presque sacrées. Non, non et non, leurs histoires respectives ne pouvaient en aucun cas se mélanger !
Et pourtant…
Avant que Ian Gillan ne chante sur le controversé – et pourtant excellent – “Born Again” en 1983, puis que Glenn Hughes en fasse de même sur le mésestimé “Seventh Star” en 1986, Ronnie James Dio devint donc à la surprise générale le nouveau chanteur de Black Sabbath. Mais il y eut une surprise encore plus grande : donné pour mort et enterré suite au décevant “Never Say Die !” de 1978, le Sab’ revint au tout premier plan avec “Heaven And Hell” au printemps 1980, époque de bouillonnement général où les jeunes cadors énervés de la New Wave Of British Heavy Metal pensaient pouvoir manger tout cru les vieux dinos des seventies – cela dit, Deep Purple était alors en sommeil (plus pour longtemps…) et Led Zeppelin n’allait pas tarder à rendre les armes suite au décès brutal de leur Dieu du Tonnerre, John Bonham.
Ainsi, l’ancien chanteur de Elf et Rainbow succédait donc à Ozzy Osbourne. Les fans purs et durs accueillirent cette nouvelle avec certaine perplexité. (Votre humble serviteur, toujours ouverts aux mariages musicaux inattendus, ne faisait évidemment pas partie de cette frange radicale.) Leurs angoisses furent vite dissipées. Dès les premières mesures de Neon Knights pour tout dire, qui déboulait telle une armée de rhinocéros en furie, déterminés à aplatir tous les tympans. La suite était au diapason, formidable enfilade de classiques instantanés dont le point culminant était l’épique et héroïque chanson-titre, son riff immémorial et son groove éléphantesque. Dio y atteignait des sommets de lyrisme et d’émotion. (« Good heavens, bloody hell, j’aurais pas dû le virer ! », se serait dit Ritchie Blackmore en découvrant Heaven And Hell.) Autres points culminants : Children Of The Sea, Die Young et Lonely Is The Word (riff monstrueux qui préfigure celui de China White de Scorpions).
Un an plus tard, la pression ne retombait pas avec “Mob Rules”, et sa pochette aussi flippante qu’était troublante celle de “Heaven And Hell”. Je ne sais pas pourquoi, mais “Mob Rules” est souvent moins considéré que son prédécesseur, alors que personnellement je le trouve aussi réussi, et peut-être même, oserais-je l’avouer, encore plus fort. (Cela n’engage que moi et je ne souhaite en aucun cas créer de polémique.) La présence de Vinnie Appice a contribué à rendre les grooves encore plus lourds et puissants. (Pour la petite histoire, avant de remplacer Bill Ward en plein milieu de la tournée “Black And Blue” – en cobilling avec d’autres champions du metal, Blue Öyster Cult –, Appice avait refusé de se joindre au groupe d’Ozzy Osbourne suite aux conseils avisés de son grand-frère Carmine : « N’y va pas, ce type est dingue ! ») Et aux côtés de nouveaux classiques instantanés (The Mob Rules, d’abord enregistré pour le dessin animé Heavy Metal dans l’ancienne maison de John Lennon, là où Imagine fut gravé, Voodoo, le bref instrumental E5150, Turn Up The Night, alias Neon Knights II...), il y avait le fantastique The Sign Of The Southern Cross et son riff omérique, signé d’un I qui veut dire Iommi. (« L’omérique, l’omérique, je veux l’avoir et je l’aurai », se serait dit Tony Iommi à l’époque.) Ronnie James Dio était très fier de The Sign Of The Southern Cross. Il avait bien raison.
Un mot sur les nouveaux bonus des CD 2 : je sens que les fans complétistes (pléonasme ?) vont garder leur précédentes éditions Deluxe, car ce ne sont pas tout à fait les mêmes. Dans “Mob Rules”, par exemple, le “Live At Portland Memorial Coliseum, U.S.A., April 22, 1982” vaut mieux que le double de la discorde, “Live Evil”, qui précipita la séparation de ce line up historique de Black Sabbath.
CD/LP Black Sabbath : “Heaven And Hell” et “Mob Rules” (BMG, déjà dans les bacs).