Quelques jours avant la sortie du troisième coffret “Super Deluxe” de Whitesnake, “Slip Of The Tongue 30th Anniversary Remaster MMXIX ”, Julien Ferté revient sur la génèse mouvementée de cet album de 1989 marqué, entre autres, par la présence de Steve Vai.
À tout seigneur tout honneur, laissons tout d’abord l’inénarrable Tonton David vous présenter lui-même “Slip Of The Tongue 30th Anniversary Remaster MMXIX Super Deluxe” :
Sinon, Death Disco, vous connaissiez ? Nous non plus ! C’est l’un des vingt-trois inédits du Disc 5 du coffret “Slip Of The Tongue 30th Anniversary Remaster MMXIX Super Deluxe” de Whitesnake. Intitulé “A Trip To Granny’s House : Sessions Tapes, Wheezy Interludes & Jams”, le Disc 5 est une sorte de longue jam session où David Coverdale et ses snakes (Adrian Vandenberg et Steve Vai à la guitare, Rudy Sarzo à la basse et Tommy Aldridge à la batterie) passent en revue la majeure partie des chansons de “Slip Of The Tongue”, tout en s’autorisant d’amusantes improvisations en forme de digressions blues (l’ADN de Whitesnake), mais aussi funk, soul et même, parfois – si, si – un rien jazzy. [Il y a quelques années, le bassiste de Metallica, Robert Trujillo, nous avait confié que Rudy Sarzo était un grand jazzfan, fou de Weather Report et de Jaco Pastorius notamment, NDR.] Parmi ces impros ludiques, Death Disco est l’une des plus étonnantes : sur un tempo heavy-groovy à souhait (belle ligne de basse de Sarzo, chouette cocottes funky de Vandenberg), David C. lâche tout d’abord un « We’re jammin’, we’re jammin’ » en clin d’œil à Bob Marley, puis se lance dans un simili-rap qui nous rappelle l’étendue de sa culture musicale.
Mais que les hardcore fanatics de Whitesnake se rassurent : l’ambiance générale reste dans la tonalité habituelle du groupe ! Passé le succès phénoménal de leur album précédent, “1987”, David et ses snakes, pression commerciale oblige, se devaient impérativement de ne pas décevoir les décisionnaires – et plus encore les actionnaires – de leur maison de disques. Ce qui fut fait.
Tout commença pourtant très mal : peu avant le début des séances d’enregistrement, Adrian Vandenberg, alias “The Flying Dutchman” (“Le Hollandais Volant”), se blessa les tendons du poignet… en travaillant avec trop d’assiduité une méthode de piano classique ! [Un Hollandais, un Anglais, trois américains : Whitesnake était alors une vraie multinationale, et pour la première fois, David C. n’enregistrait pas un album entier avec un all british band, NDR.] Résultat : out of the game l’Adrian ! Lui qui avait pourtant participé à toutes les séances d’écriture de l’album, dans un studio de répétitions au bord du Lac Tahoe. Obligé de respecter un schedule de plus en plus serré, David C. se mit en quête d’un remplaçant pour finaliser l’album, et son choix se porta immédiatement sur le nouveau prodige “post-Eddie Van Halen” de la six-cordes, Steve Vai.
Découvert par Frank Zappa, qui s’y connaissait un peu en guitare, Vai se fit d’abord remarquer grâce à ses prouesses techniques aux côtés du Génial Moustachu (gagnant ainsi son surnom de stunt guitarist, guitarist acrobate capable de jouer toutes les impossible guitar parts écrites par son boss) ; puis il remplaça le Paganini de la guitare metal Yngwie Malmsteen au sein d’Alcatrazz, ce qui lui permit de gagner ses galons de shredder virtuose, déjà mis en valeur dans la cultissime scène finale du film de Walter Hill, Crossroads, dans laquelle il jouait le rôle du guitariste diabolique Jack Butler. Enfin, quand David Lee Roth le choisit pour être le soliste vedette de son premier album solo, “Eat ’Em And Smile”, Vai entra définitivement au Panthéon des guitar heroes américains. Statut renforcé quatre ans plus tard par son second opus solo, “Passion And Warfare”.
Tout ça pour vous dire, chers lecteurs assidus de muziq.fr, que l’annonce de l’arrivée de Steve Vai au sein de Whitesnake fit grand bruit en 1989. Angoisse de fans : les étourdissants tours de passe-passe de ce virtuose funambule allaient-ils “matcher” avec l’univers hard’n’bluesy du combo de David C., dont le line up était décidément plus instable que jamais ? Quand, en novembre 1989, la pochette de “Slip Of The Tongue” se mit à fleurir sur les facings des disquaires du monde entier et que des millions de fans passèrent à la caisse sans attendre, il ne fallut pas plus d’une écoute pour comprendre qu’avec cet opus macho, romantique, musculeux et toujours aussi fracassant de heavy rock ledzeppelinesque, Whitesnake continuait de creuser le sillon de “1987”. Au grand dam, encore une fois, des aficionados de la première heure, devenus peu à peu minoritaires, voire submergés par l’armée des nouveaux fans, qui se ruèrent en (presque) aussi grand nombre sur “Slip Of The Tongue” que sur “1987”.
Fort de ce nouveau succès commercial, Whitesnake repartit en tournée en 1990 avec son line up au grand complet, prêt à défendre son nouveau blockbuster phonographique. Adrian Vandenberg, qui avait revendu chez un soldeur de L.A. sa méthode de piano maléfique, partageait la scène avec Steve Vai, tandis que Sarzo & Aldridge faisaient la paire rythmique, sans oublier les claviers de Rick Serate (qui ?!). Cette belle bande de bogosses aux cheveux longs qui faisaient la fortune des coiffeurs de Los Angeles déroulait sous la personne de leur charismatique leader au gosier bluesy-robertplantien un fort électrisant tapis rouge de notes par milliers – que dis-je, millions. Détail amusant, qui en dit long sur les pressions des divers managers : au beau milieu de chaque concert, Steve Vai interprétait deux instrumentaux (l’épique For The Love Of God et le vanhalenoïde The Audience Is Listening) extrait de “Passion And Warfare”, qui venait tout juste de sortir.
Passée cette very succesful tournée qui sentait malgré tout la fin d’un cycle, David C. annonça à ses snakes qu’il mettait entre parenthèse, et pour une durée indéterminée, son groupe chéri. La concurrence des innombrables groupes de hair metal et de Guns N’ Roses ne lui faisait pas peur, mais, en vieux briscard de 38 ans, sans doute avait-il déjà pressenti que le tsunami grunge allait tout emporter sur son passage. Néanmoins, il enfonça trois ans plus tard le clou du hard-rock à l’ancienne avec Jimmy Page via l’album “Coverdale • Page”, qui ne connut pas le succès qu’il méritait – ventes décevantes, tournée mondiale annulée… (Mais c’est une autre histoire, qu’on aimerait bien vous raconter si, qui sait, cet album qui se bonifie avec le temps est un jour réédité…)
Reste que malgré ses excès (super)soniques et son côté frimeur flirtant dangereusement avec la parodie spinaltapesque, “Slip Of The Tongue”, si l’on veut bien trier le bon gain de l’ivraie, contient son lot d’émotions fortes, de la chanson-titre au puissant Judgment Day (qui est à Kashmir de Led Zeppelin ce que Still Of The Night était à Black Dog et Whole Lotta Love) en passant par Wings Of The Storm et Now You’re Gone. La nouvelle version remasterisée de l’album a gagné en relief et en épaisseur mais, allez savoir, pourquoi, le track listing original est chamboulé – la reprise de Fool For Your Loving est ainsi remisée à la fin du disque (serait-ce pour signifier que David C. n’a toujours pas digéré que cette cover version luxueusement inutile ait été choisie comme premier 45-tours par sa maison de disques ?). Sweet Lady Luck, une face b, et six versions alternatives ont été ajoutés en bonus tracks aux dix chansons originales.
Mais c’est évidemment sur les cinq autres CD du coffret que tout geek whitesnakien qui se respecte va pouvoir assouvir son insatiable gourmandise. Dans le Disc 2, “The Wagging Tongue Edition (Promo Album)”, David C. passe en revue chaque titre en répondant aux questions de Phil Eaton. “Evolutions : Demos / Remixes / Re-Records”, le Disc 3, ressemble à une émission de radio au cours de laquelle David C. et ses snakes passent en revue diverses raretés dont, entre autres, les inédits Kill For The Cut et Parking Ticket. Les “Monitor Mixes, April 1989” du Disc 4 sont un peu lourds à digérer. Pourquoi ? Parce qu’ils ne se démarquent guère des versions originales. Le Disc 5 est notre préféré, mais ça vous le savez déjà. Le Disc 6 est enregistré live au festival de Donington 1990, mais il est plus amusant à voir qu’à écouter, alors autant passer directement au DVD, qui contient non seulement le live à Donington, mais aussi quelques vidéos vintage (qui passaient en boucle sur MTV en 1989 et en 1990), ainsi qu’un petit documentaire rigolo constitué d’images d’archives (les sessions au Lac Tahoe) commentées avec ce qu’il faut d’auto-dérision et d’humour british par David C.
Outre un poster et un petit fasicule riche en photos, le copieux livret hardcover de 60 pages s’attarde façon histoire orale (interviews et citations pour la plupart extraites de magazines d’époque) sur la saga de l’enregistrement du disque. Dans la précédente réédition de “Slip Of The Tongue”, celle du 20ème anniversaire, David C. avait rédigé lui-même les liner notes . Il disait plus clairement ce qui lui plaisait – ou moins… – dans ce disque. Ne cachant pas, par exemple, que si Adrian Vandenberg avait vraiment participé aux séances d’enregistrement, la tonalité générale de l’album aurait sans doute été plus chaleureuse. Il rappelait aussi que son vieux pote de Deep Purple, Glenn Hughes, invité spécial, n’était pas dans une forme olympique (Hughes en convient lui-même dans son autobiographie), et que Tommy Funderburk, connu des amateurs de rock West Coast pour sa participation au seul et unique album d’Airplay, et Richard Page (Broken Wings de Mr. Mister, ça vous dit quelque chose ?) avaient fait un « hell of a job » dans les chœurs. Les liner notes de cette nouvelle édition sont plus factuelles, plus neutres, et pour tout dire politically correct. Signe des temps…
Coda : maintenant “Slide It In”, “1987” et, donc, “Slip Of The Tongue” ont été réédités avec les honneurs, quel sera le prochain coffret Super Deluxe ? La logique voudrait qu’il s’agisse du “40th Anniversary Remaster MMXX” de “Ready N’ Willing” n’est-il pas ? Croisons les doigts.
COFFRET “Slip Of The Tongue 30th Anniversary Remaster MMXIX Super Deluxe” (Rhino / Warner Music, dans les bacs le )
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