What Color Is Love, le sommet discographique de Terry Callier, reparaît en vinyle. Un chef d’œuvre soul-folk à (re)découvrir d’urgence.
Ami d’enfance de Curtis Mayfield et de Jerry Butler, Terry Callier grandit à Chicago et étudie le piano dès l’âge de trois ans. Il compose ses premières chansons huit ans plus tard et intègre une série de formations doo-wop au seuil de l’adolescence. En 1962, le jeune homme, alors âgé de 17 ans, est repéré par le label Chess, qui publie rapidement « Look At Me Now », un premier single arrangé par Charles Stepney, le génial metteur en son responsable des étourdissants chefs-d’œuvre symphonico-soul-jazz de Rotary Connection, de Ramsey Lewis et des Dells. Contrairement aux réussites de ces artistes Chess, les premiers travaux du regretté Callier, disparu en 2012, restent confidentiels. La faute à une étiquette folk trop restrictive, mais également la conséquence d’un geste indélicat faisant partie des « traditions » du music business des années 1960 : The New Folk Sound Of Terry Callier, son premier album solo, ne sera publié par l’enseigne Prestige qu’en 1968, soit quatre ans après sa réalisation initiale. Samuel Charters, le directeur, s’est envolé entre-temps au Nouveau-Mexique avec les recettes du label et les bandes du LP. Une première expérience désastreuse pour le songwriter, qui devra attendre la décennie suivante pour véritablement démarrer sa carrière discographique.
Sorti en mars 1973, What Color Is Love, le troisième album de Terry Callier, dévoile d’entrée ses ambitions avec la vertigineuse suite orchestrale de « Dancing Girl ». Déclinées en trois mouvements, les neuf minutes de « Dancing Girl » s’ouvrent sur un délicat arpège de guitare acoustique, puis intègrent progressivement une section rythmique enrichie de cuivres et de percussions avant de se refermer sur une tempête de cordes hivernales dirigées par Charles Stepney.
Producteur de l’album, ce dernier signe avec What Color Is Love l’une de ses plus grandes réussites. Les orchestrations cinématographiques de « What Color Is Love », « Just As Long As We’re In Love » et de « I’d Rather Be With You » procurent ensuite un écrin soyeux à la voix chaude et ample de Terry Callier. Situé en fin de première face, « You Goin’ Miss Your Candyman » conjugue un texte minimaliste renvoyant aux talkin’ blues originels, avec des percussions afro obsédantes et une ligne de basse hurlante jouée par Louis A. Satterfield. « You’re gonna miss when I’m gone », supplie ad. lib. Terry Callier dans un final apocalyptique où le dépit amoureux rejoint la menace. Une monument folk/soul/funk que les rappeurs d’Urban Species sampleront allègrement sur leur hit « Listen », en 1994.
What Color Is Love referme ses portes sur un instrumental dominé par les guitares de Phil Upchurch et de Terry Callier, où des chœurs féminins angéliques entonnent un tourbillonnant « You Don’t Care » collectif. Une conclusion aussi superbe que désolée, à l’image du regard distant et soucieux de l’amazone lascive ornant le magnifique artwork signé Joel Brodsky, ancien photographe officiel de Stax et auteur des fameux clichés torse nu de Jim Morrison. Certainement une des plus belles illustrations d’album, tous genres confondus.
Terry Callier What Color Is Love (réédition vinyle Verve/Universal). Disponible.