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Classiq Rock

Trapeze, groupe culte à (re)découvrir

Purple Records ressort les trois premiers disques de Trapeze en Deluxe Edition, augmentés de titres rares, BBC Sessions et inédits live. Grand bonheur que de (re)découvrir le groupe où Glenn Hughes fit ses débuts avant de rejoindre Deep Purple. Julien Ferté vous dit tout sur ces rééditions exceptionnelles.

C’est déjà la quatrième fois (ou peut-être la cinquième…) que les trois premiers disques de Trapeze sont réédités en CD – les collectionneurs se souviennent avec émotion des rééditions papersleeve japonaises de 2006… –, mais jamais ils n’avaient bénéficié du traitement de faveur Deluxe. C’est chose faite grâce à Purple Records et Cherry Red Records, qu’on saura gré de continuer à faire vivre l’objet-disque.

Malgré sa réputation plus que flatteuse et le cult following dont il bénéficie depuis sa création en 1969, Trapeze n’aura curieusement jamais réussi à faire son breakthrough, à percer dans les grandes largeurs, ni en Angleterre, où ils furent pourtant très rapidement signés sur le label des Moody Blues, Threesold, ni aux Etats-Unis, où leur concerts laissèrent souvent un souvenir mémorable à ceux qui eurent la chance d’y assister.

En réécoutant les trois albums qui viennent d’être réédités un demi-siècle après leur parution – ce qui, on en conviendra, laisse suffisamment de recul pour apprécier les choses… –, on comprend pourquoi. Malgré un niveau de musicalité au-dessus de la moyenne, le talent de chacun de ses membres, et plus particulièrement le regretté guitariste et chanteur Mel Galley (1948-2008), le batteur Dave Holland (lui aussi disparu en 2018) et le toujours hyper-actif bassiste-chanteur Glenn Hughes, il aura sans doute manqué à Trapeze LA chanson, le hit record qui aurait pu leur servir de locomotive pour se lancer à toute blinde sur les rails du succès planétaire – beaucoup de très bonnes chansons dans ces trois disques, mais pas d’hymne implacable façon Whole Lotta Love, Paranoid ou Smoke On The Water

Reste que leurs trois premiers disques font depuis longtemps partie de la discothèque de tout fan de Deep Purple (et de son extended family) qui se respecte. Et ces nouvelles éditions Deluxe vont certainement achever de convaincre les derniers oublieux.

Mai 1970, le premier album éponyme de Trapeze

Mai 1970, le premier album éponyme de Trapeze

Publié en mai 1970, le premier Trapeze, sobrement intitulé… “Trapeze”, était encore ancré dans les sixties. Il faut dire que ce n’était pas encore un power trio qui était à l’œuvre mais un quintette. Terry Rowley (claviers, flûte) et Johnny Jones (trompette, chant) faisaient alors partie du groupe, qui cultivait une esthétique marquée par celle des incontournables Beatles (dans les liner notes du livret, Glenn Hughes, lui-même bassiste-chanteur comme un certain Paul, rappelle à juste titre que Mel Galley était très influencé par George Harrison), avec harmonies vocales, refrains accrocheurs, arangements stylés et même quelques digressions jazzy. Bref, Trapeze aurait pu devenir un Badfinger-bis (Apple Records les avait approchés…), mais il n’en fut rien, car Rowley et Jones s’en retournèrent vite rejouer avec leur premier groupe, The Montanas.
Notre chanson favorite de ce premier opus ? Nancy Gray, chantée par Hughes, qui gardait encore au frais (ok, je sors) ses influences afro-américaines pour cultiver un petit côté Bowie, qu’il fréquentera d’ailleurs plus tard (mais c’est une autre histoire).

La pochette française du 45-tours de Send Me No More Letters.

La pochette française du 45-tours de Send Me No More Letters.

Le bonus disc de “Trapeze” contient quatre démos, les UK et US Single Versions de Send Me No More Letters, trois chansons extraites de BBC Sessions et trois autres de leur passage dans l’émission télé Colour Me Pop.

Novembre 1970 : sortie du deuxième album de Trapeze, “Medusa”.

Novembre 1970 : sortie du deuxième album de Trapeze, “Medusa”.

Quelques mois plus tard, le 13 novembre 1970 – hé oui, on ne chômait pas à cette époque –, “Medusa” fut le premier 33-tours trapézoïdal en mode power trio, dans la lignée des Cream, Mountain et autres Bedlam. Changement de son et style : exit les baroqueries pop, welcome le heavy rock puissant. A trois c’est mieux, et les talents d’instrumentistes respectifs de nos young lads (l’ambiance était très bonne au sein de Trapeze, la camaraderie régnait) se complètent idéalement.
Est-il besoin de vanter les qualités vocales de Glenn Hughes ? Non bien sûr, tant on connaît par cœur les inflexions à la fois viriles et sensuelles qui s’échappent depuis des lustres de son gosier. (On signalera cependant que deux des meilleures chansons de “Medusa”, Seafull et Medusa, sont de sa plume.) On insistera donc sur les talents de Mel Galley, futur membre de Whitesnake et guitariste influencé par Paul Kossof (c’est à dire subtil, inventif, et dont chaque solo est gorgé d’un feeling bleu).
Notre troisième chanson préférée de “Medusa”, avec les deux citées plus haut, est la funkysante Make You Wanna Cry, coécrite par Mel Galley avec son frère Tom (Mel et Tom crééront plus tard le groupe Phenomena, dont le premier album, featuring Glenn Hughes, est un must pour tous les fans de la grande famille Deep Purple évoquée plus haut).

1972 : “You Are The Music • We’re Just The Band”, le troisième album de Trapeze.

1972 : “You Are The Music • We’re Just The Band”, le troisième album de Trapeze.

Après plus de dix-huit mois passés à écumer les scènes grandes-bretonnes et états-uniennes, Trapeze, qui avait gagné un fan de poids en la personne du batteur de Led Zeppelin, John Bonham, revint avec l’album favori de votre humble serviteur, “You Are The Music • We’re Just The Band”, illustré par une photo du trio en action qui, depuis des lustres, laisse à penser que cet album a été enregistré live. Il n’en est rien, et ce troisième opus est même la meilleure production studio de Trapeze.
Le trio de base, toujours aussi soudé et puissant, avait bénéficié de la présence de six musiciens invités : B.J. Cole à la pedal steel guitar, le célèbre Rod Argent et Kirk Duncan au piano électrique, John Ogden aux percussions, Frank Ricotti au vibraphone et Jimmy Hastings au saxophone alto. La palette sonore était avantageusement enrichie, et d’une certaine manière, “You Are The Music • We’re Just The Band” préfigurait déjà le premier album solo de Glenn Hughes, le semi-légendaire “Play Me Out” de 1977, publié après son bref – et historique – compagnonnage avec Deep Purple.
Plus discret – il signe cependant de superbes soli, tel celui de Will Your Love End –, Mel Galley avait plus ou moins laissé les clefs de la maison Trapeze à son pote Glenn ; Dave Holland prouvant quant à lui quel subtil batteur il pouvait être, avant de devenir quelques années plus tard l’enclumeur en chef de Judas Priest.

Trapeze fin 1970 : Glenn Hughes au chant et à la basse, Mel Galley à la guitare et David Holland à la batterie.

Trapeze fin 1970 : Glenn Hughes au chant et à la basse, Mel Galley à la guitare et David Holland à la batterie.

Avec Hughes ainsi mit en valeur, le côté soulful de la musique de Trapeze était plus prononcé que jamais. Coast To Coast, devenu depuis un classique (réenregistré en 1982 pour le cultissime “Hughes & Thrall”), What Is A Woman’s Role, Will Our Love End : jamais l’influence de la musique afro-américaine, et plus particulèrement celle de Stevie Wonder (ou à un degré moindre celle d’Al Green, qui aurait très bien pu ajouter Will You Love End à son répertoire) n’avait à ce point transpiré sur un disque de Trapeze.
Trapeze s’éloignait donc du heavy rock de Cream et Mountain, annonçant bien avant l’heure les fusions funk-rock du Pat Travers Band (où, tiens, tiens, officiait un certain Pat Thrall…) et de Mother’s Finest. A propos d’éloignement, Glenn Hughes, au grand dam de ses old mates, quitta donc Trapeze pour rejoindre Deep Purple pour enregistrer et contribuer dans les grandes largeurs à “Burn”, “Strombringer” (où une chanson comme You Can’t Do It Right aurait très bien pu faire partie du songbook de Trapeze) et “Come Taste The Band”.
Joie : la version “Deluxe” de “You Are The Music • We’re Just The Band” est enrichie de BBC Sessions (son très moyen, à croire que l’enregistrement a été fait devant un transistor !), d’un excellent live à Houston de 1972 et, surtout, de deux raretés studio jamais parues (à notre connaissance) en CD : le petit bijou soul Good Love chanté par Glenn “Wonder” Hughes (avec encore une fois un solo magnifiquement construit de Mel Galley) et l’instrumental funk-rock Dat’s It, cocomposé par Mel et Tom Galley. (Good Love et Dat’s It figuraient sur la compilation “The Final Swing – Trapeze Featuring Glenn Hughes” publiée par Threesold en 1974.)

Avec leurs dgipacks à trois volets, leurs livrets richement illustrés, leurs liner notes instructives signées Malcolm Dome et leurs bonus tracks à gogo, ces rééditions Deluxe de Trapeze s’imposent.

CD
“Trapeze” (2 CD Purple Records / Cherry Red Records). 1970.
“Medusa” (3 CD Purple Records / Cherry Red Records). 1970.
“You Are The Music • We’re Just The Band” (3 CD Purple Records / Cherry Red Records). 1972.