Jeudi soir à Londres, le rockumentaire “Still On The Run – The Jeff Beck Story” était projeté en avant-première au Curzon Mayfair Cinema, en présence du guitariste et de quelques amis : Jimmy Page, David Gilmour, Roger Taylor et Chrissie Hynde. Muziq.fr y était.
« Oui monsieur, votre nom est sur la liste. Le film commence à 18 heures, salle 2. Vous pouvez patienter au bar, juste derrière… » Patientons donc au bar, où l’on retrouve sans tarder la fine team d’Eagle Vision, Geoff Kempin, Lindsay Brown, Terry Shand et Faye Blaylock. « Alors, Jeff Beck sera bien là ? – Of course, of course, Jeff is here… » Tiens, tiens, il m’a semblé déceler un rien de malice dans le sourire de Geoff Kempin…
Six o’clock ! Let’s go into la salle 2.
Les Anglais n’étant pas du genre à s’éloigner hâtivement d’un bar, on en profite pour choisir tranquillement une bonne place. Celle-là par exemple, au deuxième rang, juste devant ce siège, ù une photocopie couleur de l’affiche a été collée : « Reserved for Jeff Beck. » Sur celui d’à côté, à gauche, « Reserved for Sandra Beck. » Ceux de droite sont aussi réservés. Pour qui ? Mystère…
Twitter, Facebook, textos, on patiente comme on peut, tout en jetant de temps à autre un coup d’œil vers l’entrée, histoire de ne pas manquer celle de la vedette de la soirée.
Ah, les voilà !
Chemise blanche, blouson noir, mine un rien renfrognée, pas de doute, c’est bien Jeff Beck. Accompagné de Madame. Mais, mais, dans sa foulée, tout de noir vêtu lui aussi, cheveux gris et catogan… Jimmy Page, himself !
Un rien bouche bée, on tourne à nouveau la tête vers l’entrée : et pendant qu’on y est, Eric Clapton ? Non, pas d’Eric Clapton. Qu’importe. Juste derrière nous, le couple Beck devise gaiement avec Jimmy Page et sa compagne, Scarlett Sabet.
La salle est pleine, le team Eagle Vision présente rapidement le film que nous allons voir en avant-première et souhaite un « happy birthday » à Sandra Beck.
Premier applaudissements, suivis des premières images. Jeff Beck dans son garage en train de monter un moteur sur un chassis de hot rod. Premiers rires étouffés derrière moi.
Tout le film durant, les échanges amusés entre Jeff Beck et Jimmy Pageiront bon train, sans parler des commentaires en direct de Beck – au cinéma, les anglo-saxons sont plus expansifs que les Français, et comme c’est “son” film, le génial soliste ne se prive pas de s’envoyer personnellement quelques vannes bien senties. On a le sens de l’auto-dérision ou on ne l’a pas. Jeff Beck l’a. Les rires fusent quand Rod Stewart, Joe Perry ou Ron Wood apparaissant à l’écran. Rassurez-vous, personne n’a osé lâcher de « chuuuut… » réprobateurs.
Sur l’écran, la vie de Jeff Beck défile à cent à l’heure. Les grands témoins disent leur admiration pour ce musicien unique à la carrière en forme d’éternel recommencement. Hormis les Rod, les Ron et les Joe cités plus haut, on reconnaît tour à tour Eric Clapton, David Gilmour, Carmen Vandeberg, Slash, Jennifer Baten, Rosie Bones, Vinnie Colaiuta, Tal Wilkenfield, Rhonda Smith, Carmen Vandenberg ou Jan Hammer. Sur leurs visages, on lit une admiration et une tendresse sincères et profondes pour ce « rare animal », comme dirait Clapton, « un rocker qui comprend le jazz ». Et qui a ouvert des « boulevards soniques surréalistes » avec les Yardbirds, pavé la voie pour Led Zeppelin avec le chef-d’œuvre “Truth” en 1968, enregistré avec Stevie Wonder, osé l’aventure jazz-rock au nez et à la barbe des puristes, posé sa griffe sur des disques de Tina Turner, The Pretenders, Stanley Clarke ou Mick Jagger.
Fin du film. Standing ovation. Jeff Beck est intimidé. Son vieil ami Jimmy le fécilite chaleureusement. « Oooh Jeff, that’s a wonderful movie… » Derrière Beck, un élégant à la barbichette blanche lui glisse un compliment : Roger Taylor, le batteur de Queen. Je salue Mister Beck à mon tour, moi qui avait eu le privilège de l’interviewer pour Jazz Magazine en 2010. (On se retrouvera peut-être à Jazz à Vienne le lundi 2 juillet, restez branché…)
Retour au bar, non sans avoir découvert, au passage, qu’un certain David Gilmour était tranquillement installé au fond de la salle…
Autour de quelques pintes et autres généreux ballons de rouge, les conversations vont bon train. Mes confrères anglais (Record Collector, Sunday Times…) s’amusent de mon accent français. David Gilmour aussi. Mais pas seulement : on échange sur le jazz et l’art du songwriting en trinquant à la santé de Jeff Beck. David Gilmour est un interlocuteur d’une élégance et d’une curiosité d’esprit qui laissent pantois. On parle guitare aussi, bien sûr. L’ex-Pink Floyd avoue sa passion pour Joni Mitchell (« Je me suis énormément inspiré de son jeu de guitare, ses accords me fascinent »), et me recommande de bien réécouter The Messiah Will Come Again de Roy Buchanan, qu’il admire autant que son copain Jeff Beck : « Le Jeff de Cause We’ve Ended As Lovers est très proche du Roy de The Messiah Will Come Again, précise-t-il – Oui, ajoute-t-on modestement, et sur le même album, il y a un morceau de Buchanan intitulé My Friend Jeff… »
Pendant ce temps-là, Jeff Beck discute avec Jimmy Page, juste à côté de nous. David Gilmour leur jette quelques regards amusés. Puis un cercle se forme, dont Beck devient immédiatement le centre d’attraction, en toute décontraction. Les questions fusent. Il y répond d’autant plus volontiers qu’elles sont hors-micro. « Si j’ai enregistré à Paisley Park ? Yes. Je me souviens, on était en train de jouer un reggae avec Terry [Bozzio] et Tony [Hymas]. Terry jouait un truc fantastique, j’étais bien, et à un moment, quelque chose n’allait plus, ce n’était plus en rythme Je me suis retourné vers Terry, “Qu’est-ce qui se passe mec ?!”. Prince était entré dans le studio, avec cette actrice, heu, celle de 9 Semaines 1/2, comment s’appelle-t-elle déjà ? – Kim Basinger. – Yes, Kim Basinger ! Prince avait pris des baguettes et tapait sur les cymbales… Je lui ai balancé une vanne, genre “Hey mec, faut choisir, la fille ou le rythme”, un truc comme ça, pour détendre l’atmosphère… Il ne l’a pas très bien pris en apparence… Ah ah aaaah ! »
Non, Jeff Beck ne sait pas encore – ou veut le garder secret… – le line up définitif du groupe qui l’accompagnera à Paris le 9 juin et à Jazz à Vienne le 2 juillet. Il ne sait pas non plus s’il jouera Purple Rain, comme à l’Hollywood Bowl en 2016. « Vous pouvez le jouer en version instrumentale, ça pourrait être magnifique », me suis-je risqué à lui souffler.(Qui ne tente rien…) Oui, je lui ai dit que Marcus Miller serait dans les parages de Vienne le jour de son concert au Théâtre Antique, qui promet d’être mirifique. Quant à Jimmy Page, il s’était éclipsé depuis un moment déjà, fuyant tout en souplesse les tentatives d’eye contact et de questions – « Hey Jimmy, osa mon confrère de Record Collector, what’s your next project ? » Regard fuyant du maestro aux cheveux d’argent : « Wake up in the morning ! » Pas de scoop sur le prochain coffret Led Zeppelin…
Allez, il se fait tard, back to the hotel. David Gilmour nous salue (« bye chaps »), Chrissie Hynde (elle-même) prend son ami Jeff dans ses bras, qui finit par dire poliment au revoir à tout le monde.
« Oh what a night », comme chantait Frankie Valli et ses Four Seasons.
Au fait, rassurons d’emblée les afficionados d’“El Becko” : “Still On The Run – The Jeff Beck Story” sera publié le 18 mai par la bonne maison Eagle Vision en DVD et en blu-ray. Chronique complète à lire bientôt sur muziq.fr. •
Concerts Le 9 juin à Paris (), le 2 juillet à Vienne (Théatre Antique, dans le cadre de Jazz à Vienne)
DVD, Bu-ray, digital “The Jeff Beck Story” (Eagle Vision / Universal)