De Joni Mitchell à Deep Purple en passant par Soundgarden, les Beatles et Drake, RedisCOVERed, le onzième album de Judith Owen, se compose de douze reprises. La singer/songwriter la plus californienne du Pays de Galles en choisit quatre pour Muziq.
« RedisCOVERed est mon onzième album et le premier entièrement constitué de reprises », explique Judith Owen au sujet de son nouvel essai thématique enregistré en compagnie des fidèles Leland Sklar (basse), Pedro Segundo (batterie, percussions) avec les trompettistes Nicholas Payton et Maz de Snarky Puppy. « Les reprises me rassurent, et elles rassurent aussi le public. C’est comme un filet de sécurité, car tout le monde connait ces chansons. »
« Black Hole Sun » (Soundgarden)
J’interprète et je réarrange des reprises depuis que je suis toute petite. Je ne sais pas lire ni écrire une partition et je souffre de dyslexie musicale. il s’agit d’un vrai syndrome : les notes se mélangent et elles ne veulent rien dire pour moi… Quand j’étais petite, j’écoutais mes soeurs jouer du Debussy au piano. Lorsqu’elles avaient fini, je m’installais à mon tour derrière le clavier et je reproduisais presque exactement ce qu’elles venaient de jouer. C’était à peu près la même chose, mais avec des notes légèrement différentes. Dès lors, j’ai toujours adorer rejouer des airs connus à ma manière… Dès la fin de mon adolescence, j’ai commencé à jouer dans les bars, dans les clubs de jazz et dans un tas d’endroits merdiques. Des sets de quatre heures à jouer hit sur hit, standard sur standard. Et comme je ne savais pas lire une partition, je les réarrangeais à ma manière. J’ai ensuite commencé à travailler aux États-Unis au milieu des années 2000, et mes premiers enregistrements ont été des reprises « Smoke On the Water » de Deep Purple et « Black Hole Sun » de Soundgarden. C’était très jouissif de reprendre « Smoke On the Water », cet hymne rock plein de testostérone, et d’en faire une chanson féminine et sexy. Un ami musicien m’a dit que les musiciens de Deep Purple l’avaient entendue et qu’ils l’avaient adorée. Chris Cornell m’a également dit qu’il adorait ma reprise de « Black Hole Sun ». Je choisis toujours des chansons qui signifient quelque chose d’un point de vue personnel et « Black Hole Sun » est une des plus grandes chansons jamais écrites sur la douleur et la dépression. J’ai vécu de très intenses épisodes dépressifs au cours desquels je devais faire semblant de montrer que tout allait bien, alors que j’étais complètement ravagée de l’intérieur. C’est ce qui m’a donné l’idée d’arranger « Black Hole Sun » à la manière du « Take Five » de Dave Brubeck, c’est-à-dire d’installer une attitude swing sur paroles sont dévastatrices.
« Cherokee Louise » (Joni Mitchell)
J’ai choisi cette chanson de Joni Mitchell car elle est constitue le coeur de cet album. Je l’ai découverte à Londres, à la fin des années 1990. J’ai connu la musique de Joni Mitchell sur le tard avec les albums Night Ride Home et Wild Things Run Fast et elle avait déjà cette voix très grave (elle se lance dans une imitation très convaincante de son timbre enfumé, nda). J’adorais les arrangements de Larry Klein, cette capacité de passer du jazz au folk et au rock, et bien sûr la poésie et l’intelligence émotionnelle de Joni Mitchell. Elle a changé ma vie… Des années plus tard, je suis allée aux États-Unis et la première personne qui a joué de la basse sur mes enregistrements était Larry Klein. Par la suite, j’ai eu la chance de rencontrer Joni et de la voir très souvent sur scène. Il fallait absolument que ces deux chansons, « Cherokee Louise » et « Ladies Man », figurent dans cet album car ce sont les premières que j’ai entendues de Joni Mitchell. « Cherokee Louise » raconte son enfance de l’histoire de son amie, une petite fille cherokee abusée sexuellement par son beau-père. Joni parlait déjà de ces problèmes de manière frontale et ma version traduit les sentiments que j’ai éprouvé la première fois que je l’ai entendu. Elle est sombre, cinématique et dérangeante car on a l’impression de se cacher dans ce tunnel aux côtés de cette petite fille. Leland Sklar joue de la basse comme un Dieu sur cette chanson et à la trompette, Nicholas Payton traduit aussi superbement ce qu’éprouve cette enfant.
« Play That Funky Music » (Wild Cherry)
Je suis une femme blanche née au Pays de Galles et j’ai grandi dans un environnement classique. Mon père était chanteur d’opéra, on écoutait beaucoup de musique classique à la maison, mais il aimait aussi le jazz, le gospel, le blues et le R&B, ce qui n’était pas courant chez les musiciens classiques. Par conséquents, ma musique, c’est du jazz, du classique, de la musique noire américaine, la musique du Laurel Canyon et du folk. J’ai grandi sans faire de différences entre ces genres. J’ai toujours été une grande fan de Stevie Wonder, Aretha Franklin et tous ces géants de la soul. Je ne chante pas de manière acrobatique, mais j’ai retenu de ces géants la liberté de leur voix et l’envie de chanter avec une voix soulful. Tom Jones, qui est aussi gallois, a toujours eu ça en tête. Les Beatles et tous les chanteurs anglais aussi. Je reste une femme galloise blanche qui vit à La Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz, et où on trouve encore les musiciens les plus funky de la planète. Un soir, après avoir chanté du R&B avec un groupe local, une chanteuse s’est approchée et m’a dit : « Judith, tu ne peux être seulement blanche avec une voix pareille ! ». Ça nous a fait rire, mais c’était un énorme compliment pour moi, comme quand Chris Cornell m’avait dit qu’il adorait ma version de « Black Hole Sun » ou quand Burt Bacharach et Jackson Browne m’ont envoyé des compliments. Ca me touche énormément et dans « Play That Funky Music White Girl », je me moque surtout de moi-même, tout comme le groupe Wild Cherry se moquait de lui-même au sujet des préjugés entre les genres musicaux. C’est un groupe écossais qui joue du funk, bon sang (rires) !
« Hotline Bling » (Drake)
Pendant l’enregistrement de l’album, mon époux Harry Shearer (alias Derek Smalls, le bassiste moustachu de Spinal Tap, nda), m’a fait remarquer que toutes les chansons que je reprenais venaient du passé. J’ai donc eu envie d’ajouter quelques titres contemporains, dont le « Shape of You » d’Ed Sheehan, « Can’t Stop the Feeling » de Justin Timberlake car c’est une superbe chanson et « Hotline Bling » de Drake. Pour celle-ci, j’ai demandé à Harry quelle pouvait être la chanson la plus extrême qui définirait mon exact contraire en terme de musique et de personnalité. Il a couru dans la pièce d’à côté et il m’a fait écouter « Hotline Bling » de Drake. Il avait tapé dans le mille et j’ai tout de suite imaginé un arrangement très sombre et minimaliste dans le genre des « Gymnopédies » d’Erik Satie. En gros, les paroles de Drake ne parlent que de sexe, mais je voulais que cette chanson dérange. Je me suis alors souvenue de cet homme dont j’attendais les coups de fil désespérément. Ma vie dépendait de ce téléphone et j’en devenais complètement folle. J’avais complètement oublié ce moment de ma vie, et cette chanson me l’a rappelé. C’est aussi ça, le pouvoir de ces reprises, et c’est ce qui rend cet exercice fascinant, car en plus de me faire redécouvrir ces chansons, RedisCOVERed m’a permis de redécouvrir ma propre histoire.
Judith Owen RedisCOVERed (Twanky Records). Disponible. Judith Owen en concert à Paris en septembre (judithowen.net)
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