En avril 1990, “People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm” s’étale sur les facing des disquaires et les amateurs de hip-hop découvrent avec certain émerveillement A Tribe Called Quest, un groupe qui, on ne le sait pas encore, va marquer son époque. Cet album historique vient d’être réédité.
Il fut un temps, hélas révolu, où un mystérieux dj passait des disques dans une cabine perchée au dernier étage du Virgin Megastore des Champs-Élysées, l’ex-plus belle avenue du monde. Il posait la pochette du cd, du 33-tours ou du maxi 45-tours qu’il avait choisi de faire découvrir aux clients du magasin devant une petite caméra et, via les écrans pas encore plats disséminés dans tous les rayons, leur permettait du coup de voir ce qu’ils entendaient.
C’est ainsi que j’ai découvert Can I Kick It ? de A Tribe Called Quest. Mes tympans, alors affamés de hip-hop créatif, se dressèrent instantanément. Direction le rayon hip-hop et hop, “People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm” dans la musette ! Début d’une longue histoire d’amour avec le groupe de Q-Tip, Phife (les deux MC) et Ali Shaheed Muhammad (le beatmaker), sans oublier le parolier Jarobi White, qui quittera ses potes assez rapidement.
“People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm” vient d’être réédité dans une version cd simple qui frustrera sans doute les hardcore fanatics, qui, j’imagine, auraient souhaité retrouver dans un cd bonus tous les remixes issus des maxi-45 tours d’époque. Mais elle devrait malgré tout permettre aux nouvelles générations de découvrir de petit chef-d’œuvre d’inventions ludiques, ce festival de samples malins qui, en son temps, surprit plus d’un réfractaire sourd au genre rappé : « Comment ? Les mecs qui font du rap connaissent aussi Lou Reed et Grace Jones ? Et en plus ils aiment le jazz ?! »
Hé oui, dans Can I Kick It ?, les boys d’ATCQ – prononcez Hèticikiou – avaient samplé la fameuse ligne de basse de Walk On The Wild Side de Lou Reed, en la couplant avec un groove repiqué sur un 33-tours Blue Note du bon Dr. Lonnie Smith. Cette idée somme toute géniale leur avait attiré les faveurs d’un public qui, jusque-là, faisait la grimace rine qu’en entendant les mots “rap”, “hip-hop”, “scratch” ou “MC”… Qu’on ne se méprenne : A Tribe Called Quest n’était pas un groupe crossover, une farce façon MC Hammer. Mais bien une bande de finauds new-yorkais surdoués. Au flot unique de Q-Tip répondait celui, peut-être moins attachant mais somme toute parfaitement complémentaire, de Phife. Quant à la musique, elle fourlillait d’idées, de clins d’œils aux musique que l’on aimait, soul, funk et jazz… Les grooves de Sly & The Family Stone et des Chambers Brothers, les lignes de basse de Marvin Gaye, la voix de Minnie Riperton (avec The Rotary Connection), les cuivres de Stevie Wonder, les synthés de Roy Ayers, de Grace Jones, et même La Marseillaise dans l’intro de Luck Of Lucien (où Q-Tip, comme son confrère The Notorious Big dans son premier album, prononce avec délice le so french word escargot) : tout cela formait un patchwork sonore pétillant et funky aussi irrésistible que le premier De La Soul.
L’autre classic rap song de “People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm”, c’est bien sûr Bonita Applebaum, aussi drôle que sexy, et qui en son temps avait fasciné un gamin nommé Pharrell Williams, qui en signe un remixe plutôt agréable, le seul potable, en tout cas, des trois bonus tracks de cette nouvelle édition, superbement remasterisée par Bob Power, le Eddie Karmer de la musique afro-américaine créative des années 1990/2000.
Avec les formidables “The Low End Theory” (1991) et “Midnight Marauders” (1993), “People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm” forme une trilogie insécable qui, vingt-cinq ans après – déjà ! –, procure toujours autant de bonheur.
« Bonita Applebaum, you gotta put me on, Bonita, Bonita, Bonita… I’d like to kiss you where some brothers don’t… So far I hope you like rap songs… »
CD A Tribe Called Quest : “People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm” (Jive / Sony Music)