« Toujours prête à faire mille et un miles avec Miles », comme disait récemment une amie. Pas faux. Le 25 juin, on pourra repartir sur la route avec le trompettiste. Pour aller où ? Au Théâtre Antique de Jazz à Vienne, le 1er juillet 1991. “Merci Miles ! Live At Vienne” sera dans les bacs en CD et en vinyle.
Récapitulons. Des controversées années 1981-1991 de Miles Davis***, il n’existe officiellement, côté témoignages live (les pirates, c’est une autre histoire) que “We Want Miles”, le “double jaune” que plus grand monde n’ose critiquer quarante ans après, son sequel (et introuvable) “Live In Japan ’81”, paru en 1992, qui à ce jour sont les seuls live publiés par Columbia, qui a surdocumenté d’autres décennies mais qui, inexplicablement, pour ne pas dire scandaleusement, a négligé celle-ci – il existe pourtant des formidables concerts enregistrés entre 1982 et 1985…
Les années 1986-1991, ou si vous préférez “les années Warner” de Miles, sont elles documentées par plusieurs live officiels, tous parus après sa mort : “Miles & Quincy Live At Montreux” (à voir en DVD plutôt qu’à écouter en CD), “Live Around The World” (intéressant mais frustrant), “Live Performance From Nice Festival France” (very nice, indeed, mais seulement disponible planqué au fond du coffret “The Last Word – The Warner Bros. Years” ou en CD bonus de la “Deluxe Edition” de “Tutu” parue en 2011). Et, aussi, l’imposant et désormais collector coffret publié par Warner Music Switzerland, “The Complete Miles Davis At Montreux 1973-1991”.
(J’espère que je n’en oublie pas.)
Depuis le 10 juillet 1991 autour de minuit, tout le monde rêve que le fameux concert “Miles And Friends” de la Grande Halle de La Villette sorte un jour autrement qu’en double CD bootleg (le fameux “Black Devil”). En attendant, on s’en retournera donc neuf jours plus tôt, le 1er juillet 1991, au Théâtre Antique de Vienne.
Ce soir-là, à l’affiche de Jazz à Vienne, la merveilleuse Shirley Horn, l’une des chanteuses préférées de Miles, était en première partie, comme jadis au Village Vanguard, où Miles l’avait imposée au boss du club, Max Gordon (on vous raconte ça dans notre “Disque du matin” quotidien sur Instagram et Facebook). A propos de boss, celui de Jazz à Vienne, Jean-Paul Boutellier, aurait rêvé que Miles vienne souffler quelques notes de cuivre auprès de Dame Shirley (ça c’est Vincent Bessières qui nous le raconte dans le beau livre Jazz à Vienne 40 ans d’émotion, à paraître le 3 juin).
Mais il n’en fut rien.
Miles était venu faire du Miles, rien d’autre.
Ce qui était déjà beaucoup.
Les spectateurs du festival ne pouvaient évidemment pas savoir que ce serait la dernière fois qu’il arpenterait la scène de droite à gauche avec ses allures de sphinx un peu las et ses pancartes piquées à George Clinton – il avait juste changé les noms pour mettre ceux de ses musiciens.
Parlons-en de ses musiciens. Une chouette bande de youngsters. Kenny Garrett au sax alto et à la flûte, Deron Johnson aux claviers ; Foley à la-basse-électrique-qui-sonne-comme-une-lead-guitar ; Richard Patterson à la basse électrique tout court et Ricky Wellman à la batterie. Un Band resserré, soudé, funky, tight, au service exclusif de sa majesté, du Chief (c’est ainsi qu’ils appelaient leur patron). Pas de fiotitures. Pas de frime. Comme un vibrant écrin pour « le Prince des Ténèbres, le Roi des Lumières, l’Empereur de la Nuit ». Rien d’autre. Seul Kenny G. (le vrai, le bon) s’autorise, sous haute surveillance – un regard de traviole du Chief et vous aviez envie de filer dans votre chambre… –, quelques soli montés en spirale qui ajoutent encore plus d’intensité mélodramatique à Hannibal ou Human Nature, par exemple.
Ah, au fait, le track listing, on allait oublier :
CD 1
Hannibal
Human Nature de Michael Jackson (18 minutes !)
Time After Time de Cyndi Lauper (beaucoup d’émotion, comme d’habitude, c’était son My Funny Valentine moderne)
Penetration de Prince (superbe)
CD 2
Wrinkle (enivrant, avec Patterson déchaîné, et dont tout le monde pensait à l’époque que c’était une compo de Prince, mais non…)
Amandla (de l’album du même nom, sous-estimé, qui mériterait une Deluxe (ré)Edition
Jailbait de Prince (laidback et tout, avec ce petit côté Madhouse comme on aime…)
Finale (un groove funky improvisé sur le feu, un long solo de batterie de Ricky Wellman, l’ex-enclumeur go go)
Ceux qui n’aiment pas cette période ne changeront sans doute pas d’avis. Ceux qui l’aiment devraient être ravis.
Le son est raw, brut de décoffrage, « in your face » comme diraient nos amis d‘Outre Atlantique. Ricky Wellman bastonne, Foley est somme toute assez discret, Johnson fait le job, Patterson est impressionnant, et Garrett garrettien.
C’est très bien comme ça.
Et voilà, Miles Davis revient encore une fois hanter l’actualité phonographique. Ce disque sortira au moment où Jazz à Vienne renaîtra de ses cendres après une année 2020 où la Covid l’avait réduit au silence, ce veil ami de Miles. Que des bonnes nouvelles, pour une fois.
*** Mais ôtez-moi d’un doute : est-il une période du trompettiste en chef qui, en en son temps ou après, mit tout le monde d’accord ? Celles des deux quintettes et du sextette historiques, o.k., mais notre immortel fit si souvent bouger les lignes que le suivre dans ces directions in music était, souvent, comme un défi bien trop difficile à relever pour le commun des mortels.
2 CD / 2 LP Miles Davis : “Merci Miles ! Live At Vienne” (Rhino Records / Warner Music, dans les bacs de 25 juin).