Elle s’appelle Kadhja Bonet, et son premier album, “The Visitor”, tourne en boucle sur les platines de muziq.fr.
Kadhja Bonet cultive le mystère de Kadhja Bonet. Alors, partout sur la toile, on lit à peu près la même chose sur cette chanteuse à la voix douce, joliment surrannée et comme surgie d’un passé révolu que, visiblement, on aimerait tant rembobiner. Et comme est elle Californienne et que sa peau est couleur café, on la compare volontiers à des soul sisters telles que Roberta Flack ou Minnie Riperton.
Comme Madame Flack, elle oscille effectivement entre soul, folk et jazz, chante, murmure, au creux de l’oreille. Comme feue la fée Minnie, elle donne l’impression de planer au dessus des drapés de cordes diaphanes qui enveloppent sa musique. (On parle ici de la Minnie Riperton d’avant Loving You et Inside My Love, de la Minnie Riperton à la voix de sirène qui captait la lumière avec Rotary Connection, ou qui chantait Les Fleur, en 1970, sous l’égide du producteur Charles Stepney.)
Pourtant, les huit chansons de “The Visitor”, opus subtilement rétro s’il est – mais qui pour une fois ne sent pas la naphtaline – ne relèvent pas seulement, loin s’en faut, de la Great Black Music. Car il y a aussi du Vashti Bunyan dans la voix cotonneuse de Kadhja Bonet, des saveurs baroques et mélancoliques qui renvoient aux premiers opus de Nick Drake ou de Duncan Browne. Bref, cette jeune femme a beau avoir grandi sur la Côte Ouest des États-Unis, elle nous donne parfois l’impression, fort agréable au demeurant, de nous promener un beau matin d’automne dans la campagne anglaise. Du coup, la Ford Pinto spatiale qu’elle prétend utiliser pour voyager dans l’espace ressemblerait plutôt à une Austin Mini…
Et puis il y a deux reprises dans “The Visitor”. Et non des moindres. Et qui en disent long sur la culture musicale grand large de Miss Bonet.
Francisco de Milton Nascimento d’abord, naguère gravé par le génie brésilien en duo avec Herbie Hancock (“Milton”, 1976), qu’elle vocalise avec grâce et émotion.
Et, ô surprise, Portrait Of Tracy de Jaco Pastorius. À celles et ceux qui auraient manqué quelques épisodes-clés de l’histoire de la musique moderne, rappelons que Portrait Of Tracy est un poème sonore sublime et révolutionnaire enregistré par Jaco Pastorius en 1975. Avec pour seul outil de travail sa baguette magique – pardon, sa basse électrique. Kadhja Bonet en a fait une chanson somme toute bouleversante, avec cordes élégantes, paroles touchantes et chœurs célestes. Un vrai petit bijou. Si ce grand fou de Jaco avait entendu ça, sans doute aurait-il versé sa larmichette… •
CD “The Visitor” (Fat Possum)
Concert Le 1er mars à Paris (La Boule Noire)
Net kbonet.com