La sublime version 1981 des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach enregistrée par Glenn Gould à New York ressort en coffret-livre de 11 CD et 200 pages !
Vous avez remarqué, j’imagine, qu’on dit plus souvent « les Variations Goldberg de Glenn Gould » que « les Variations Goldberg de Bach par Glenn Gould », comme si l’insolent génie de l’interprète (1932-1982) occultait celui du compositeur (1685-1750). Mais, sauf vot’ respect M’sieur Bach, il faut avouer que plus, bien plus que ces Variations longtemps considérées par les spécialistes (dont je ne fais pas partie) comme austères et frôlant le travail semi-scolaire moins destiné au plaisir de l’écoute qu’à l’analyse théorique, ce sont avant tout les dix doigts du natif de Toronto que l’on prend un plaisir toujours aussi fou à entendre danser à pas feutrés ou galoper comme des gazelles sur ses 88 touches d’ivoire et d’ébène.
Version 1955 ou version 1981 (les deux sont sublimes, même si Gould, si exigeant avec lui-même, finit par dire beaucoup de mal de la première…), ces Variations Goldberg dépassent l’entendement mais aussi toutes les barrières musicales. Car même si l’on n’a jamais écouté ne serait-ce qu’une seule seconde de musique “classique” (étiquette bien vague à vrai dire), ou que ce genre musical certes intimidant n’évoque pour certains qu’une flûte à bec sur laquelle on égrénait péniblement quelques notes de la Sarabande de Haendel en sixième, il me semble rigoureusement impossible de ne pas être bouleversé par ces trente-deux tranches de bonheur absolu et d’émotion renversante enregistrées au Columbia 30th Street de New York, là où d’autres disques aussi “décloisonnants” ont été gravés dans le marbre éternel – “Kind Of Blue” de Miles Davis par exemple, pour n’en citer qu’un.
Glenn Gould avait 22 ans quand il enregistra les Variations Goldberg pour la première fois, et le 33-tours fut unaniment salué par la critique et le public – si, si, ça arrive parfois. Au mitan des fifties, dit-on, ceux qui vénérèrent d’emblée le virtuose canadien, du moins aux États-Unis, lisaient aussi les poètes Beat, allaient voir des films de Fellini ou de Bergman et écoutaient John Coltrane et Miles Davis (encore lui). Bref, les Variations Goldberg par Gould, c’était branché à l’époque, et j’espère que ça l’est encore.
Personnellement, c’est grâce aux conseils avisés d’un collègue de la Fnac Wagram que j’ai découvert la version 1981 : « Tiens, écoute ça, toi qui bosses au rayon jazz, tu devrais aimer. » Il avait raison : l’Aria me laissa perplexe une minute et des poussières, mais dès que la machine à coudre de Bach (selon l’expression attribuée à Colette) se mit en marche via la Variation 1, je fut comme foudroyé par le génie glenngouldien, ce toucher ahurissant de grâce et de légèreté, ce phrasé étourdissant et, bien sûr, ce swing de tous les instants – est-ce parce qu’il est canadien comme lui, mais j’ai toujours trouvé que Glenn Gould swinguait autant qu’Oscar Peterson (aïe, les puristes vont me tomber dessus !). Depuis, ce disque magique est toujours resté à portée de tympans. L’écouter est comme un pélerinage ou, mieux, un parcours initiatique que j’ai toujours l’impression d’effectuer pour la première fois. Je n’y comprends rien (je ne suis pas savant) mais je comprends tout, et c’est bien là la force de cette musique qui, j’insiste, a des vertus universelles.
Et voilà donc que l’impressionnant et déraisonnable coffret-livre “Glenn Gould The Goldberg Variations : The Complete Unreleased 1981 Studio Sessions” me fait replonger encore une fois dans cet océan pianistique sans fond. Déraisonnable, oui, car il nous invite à partager l’intimité des recording sessions des mois d’avril et de mai 1981 à travers dix CD (!), le onzième étant évidemment celui que vous connaissez par cœur (enfin j’espère), paru quelques semaines seulement avant la mort de Gould. Vous allez me dire : « C’est pour les spécialistes ça… » Oui et non. Les pianistes et les real connoisseurs y prendront les premiers un plaisir qu’on devine intense, mais il est ausi permis à celle ou celui qui ne sait jouer qu’Au Clair de la Lune avec un doigt de se délecter de cette intrusion dans le studio de la 30e Rue – qui hélas n’existe plus –, et d’écouter le maître deviser avec l’ingénieur du son et le producteur entre deux prises. De plus, on lit ce coffret avec autant de délectation (les textes sont traduits en français).
Alors, soyez fou : avant qu’il ne devienne collector et coûte une somme folle, ajoutez-le donc sur la liste du Père Noël.
COFFRET “Glenn Gould The Goldberg Variations : The Complete Unreleased 1981 Studio Sessions” (Sony Classical, déjà dans les bacs).
Photos : © Don Hunstein (Sony Classical).
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