Le bassiste moustachu de Spinal Tap publie Smalls Change, un premier album solo enregistré avec un casting all-stars. En exclusivité pour Muziq, « l’eau tiède » du mythique groupe métal donne également des nouvelles de Nigel Tufnel et David St-Hubbins.
Muziq : Ce premier album solo est une véritable surprise, presque dix ans après le dernier concert de Spinal Tap.
Derek Smalls : Spinal Tap a joué au Festival de Glastonbury et à la Wembley Arena de Londres en 2009. J’ai vraiment cru que ces concerts allaient servir de rampe de lancement à Spinal Tap 3.0 ou 3.1., ou 4.3., je ne sais plus, mais le téléphone a arrêté de sonner. Mon premier réflexe a été d’appeler la compagnie du téléphone pour m’assurer que ma ligne fonctionnait bien. Comme c’était le cas, j’en ai donc déduit que le groupe se séparait à nouveau, ce qui est une tradition chez Spinal Tap… Peu de temps après, on m’a proposé de venir m’installer à Amsterdam, où je me suis retrouvé juge de l’émission de télé-crochet RokStarz, avec un Z. Cette émission marchait très bien, on avait même réussi à battre les audiences de la Star Academy hollandaise ! Au bout d’un an et demi, le responsable de l’émission est venu me voir en me disant : « Derek, nous allons prendre une autre direction. » Sur le coup, j’ai cru qu’il voulait m’emmener faire un tour quelque part, mais en réalité, il m’annonçait que l’émission allait désormais s’appeler Tomorrow’s Hip-Hop Heroz, avec un Z. Ils avaient donc le choix entre me garder ou garder le Z. Et ils ont gardé le Z… L’enregistrement de ces émissions avait lieu le soir. Pendant la journée, j’allais à la salle de musculation. Un jour, un ami m’a dit : « Derek, tu as l’air en pleine forme. Pourquoi ne viendrais-tu pas travailler dans mon club ? ». Je lui ai demandé : « OK, mais où est le groupe ? » et il m’a répondu : « Non, non, ce n’est pas ce genre de club. » En fait, son club s’appelait PK Funkington, et c’était un club de danceurs/strip-teaseurs mâles. Après ça, j’ai émigré en Albanie, où j’ai monté un groupe de near-death metal, Chains of Vermin, qui a marché très fort. C’est à ce moment-là que j’ai vu à la télévision une publicité pour le British Fund of Ageing Rockers (La fondation britannique pour les rockeurs vieillissants, ndr.). Ils reversaient de l’argent à des types comme moi, et c’est grâce à cette fondation qu’est né cet album solo. Voila, c’était la version courte de l’histoire…
Smalls Change est un album solo, mais vous êtes loin d’être seul sur ce disque enregistré avec un grand nombre d’invités de prestige. Comment êtes-vous parvenu à réunir un tel casting ?
Je connaissais certains d’entre eux, comme Dweezil Zappa, Joe Satriani ou Steve Lukather qui avaient joué sur Break Like the Wind de Spinal Tap, dans les années 1990. On a appelé les autres au téléphone avec mon producteur. Ça se passait comme ça : « Allo ? Bonjour. Pouvez-vous nous rappeler ? ». Puis on les rappelait à nouveau : « Non, vraiment, s’il vous plait, rappelez-nous », et certains d’entre eux l’ont fait dans un incroyable élan d’amour et de générosité. Bon Dieu, on a même réussi à avoir Rick bloody Wakeman, Donald Fagen et David Crosby, qui sont aux antipodes de l’univers de Spinal Tap… L’un de ces invités prestigieux, je ne sais plus lequel, nous a même dit que sa participation à l’album lui faisait penser à une baise de compassion (a pity fuck, ndr.). Je prends ça comme un compliment.
Smalls Change est un disque de métal très heavy, mais c’est aussi une profonde méditation sur l’âge comme l’indiquent certains titres comme « Rock’n’Roll Transplant », « Memo to Willie » (« Note pour ma bistouquette ») ou « Hell Toupee » (le toupet de l’enfer).
Absolument. Prenez « Memo to Wilie ». Attention, je n’ai pas de problème de ce côté-là, mais dès qu’on allume la TV aux États-Unis, on est bombardés de publicités pour les médicaments où on voit un type avec sa copine en train de faire du canoë sur un lac, en train de se promener dans les bois ou en train de pédaler sur un vélo, et on se dit : « ils vont s’envoyer en l’air juste après. » Puis une voix inquiétante arrive. « Serez-vous prêts le moment venu ? ». Et ils vous montrent une boîte de Viagra. J’ai écrit cette chanson pour dire à tout le monde d’oublier les pilules. Une solide conversation avec votre service trois-pièces suffit. Parlons maintenant de « Hell Toupee » : je ne fais pas partie d’un quelconque culte, mais je me méfie quand même du Diable, et je me suis posé la question de savoir si Satan faisait attention à son look. Il est déjà là depuis un certain temps, et, à l’instar d’un grand nombre d’hommes âgés, il s’inquiète peut-être de la perte de ses cheveux. Il est peut-être l’incarnation du mal, mais il reste un homme et il songe peut-être aux implants capillaires. Et comme je le dis dans la chanson, un Satan plus beau rendra l’enfer plus beau.
« Smalls Change », la chanson-titre de l’album, s’adresse à vos compagnons de Spinal Tap, le guitariste Nigel Tufnel et le chanteur David St-Hubbins. Son texte semble indiquer que toute réformation du groupe soit exclue.
Dans les films de super-héros, on appelle ça The Origins, mais ma chanson explique simplement pourquoi Derek Smalls est désormais un artiste solo. Dans la première partie, j’exprime mon sentiment d’abandon et je me demande où Spinal Tap a bien pu passer, puis je me reprends et je me dis que je suis capable d’y arriver seul.
Nigel et David ont-ils entendu votre album ?
J’ai eu un feedback de Nigel, et c’est toujours bien d’avoir du feedback quand on fait du rock’n’roll. Nigel m’a dit que j’avais fait du bon boulot. C’est un homme qui parle peu, voire pas du tout. Je sais qu’il élève désormais des poneys nains dans une ferme du Wiltshire. Vous savez, les guitaristes de rock sont des personnages extrêmes. Parfois, ils vont trop loin, un peu comme Icare qui vole trop près du soleil, et ils doivent ensuite redescendre sur terre pour mettre de la crème à bronzer sur leurs ailes. Nigel est allé très loin dans l’élevage de poneys nains. Il est allé si loin dans la miniaturisation des poneys qu’on ne peut plus trouver de jockeys assez petits pour grimper dessus… En revanche, je n’ai pas trop de nouvelles de David. De temps en temps, je reçois une carte postale que j’ouvre avec beaucoup d’excitation, mais à chaque fois, je découvre une carte écrite uniquement en pictogrammes chinois. Je vais être franc avec vous : je ne sais pas lire les pictogrammes chinois. Du coup, je ne sais pas si David m’écrit « remontons le groupe », « ton album est super » ou « je voudrais bien une tranche de canard ».
Une dernière question : Frédéric Goaty, le directeur de la rédaction de Jazz Magazine, aimerait savoir si vous avez l’intention de rééditer votre morceau culte « Jazz Oddyssey ».
Comme vous le savez, « Jazz Odyssey » est une excursion dans l’univers de la musique improvisée. Nous avons publié une version raccourcie dans l’album de Spinal Tap Back from the Dead. Lors de l’enregistrement, on s’est dit que ce morceau qui dure 45 minutes était peut-être un peu long pour une plage de CD, et nous avons décidé d’en extraire trois parties afin d’offrir au public la crème de « Jazz Oddyssey ». Plus tard, j’y ai repensé en me disant qu’il n’y avait que deux accords sur ce morceau. Quand on le jouait, le groupe se demandait tout le temps sur lequel de ces deux accords il fallait improviser. C’était un peu trop compliqué pour eux. J’ai donc eu l’idée d’écrire non plus une excursion, mais une nouvelle incursion dans le monde de la musique improvisée avec « Jazz Iliad », qui ne comporte qu’un seul accord. J’y travaille en ce moment-même en vue de mes prochains concerts. Cette nouvelle version sera trop longue pour figurer sur un CD, mais nous la jouerons sur scène. Ce sera beaucoup plus simple d’improviser sur un seul accord. Beaucoup plus douloureux aussi… « Jazz Iliad » ressemblera à un drone. Pas un objet qui vole, mais un drone musical.
Derek Smalls Smalls Change (Meditations About Ageing) (Twanky Records/BMG). Disponible.