Dans les années 1970, la soul music et le funk ont connu un âge d’or que le label Elemental Music (distribution Pias) met à l’honneur à travers des rééditions extrêmement soignées de trésors oubliés parus à l’origine sur Motown, Mercury, MGM Records ou Polydor.
Cette première série de cd – seize références au total – reproduit à l’identique les 33-tours d’époque, avec leurs pochettes vernies et cartonnées qui s’ouvrent. On nous pardonnera de préférer cette façon de (re)dédouvrir des perles rares, et notre attachement au disque dit “physique”… Commençons par la soul romantique de Smokey Robinson, qui publiait en 1973 “Smokey” (Motown), son premier album solo et post-Miracles. Coproduit par Willie Hutch, c’est un recueil de ballades sensuelles (Holly, Baby Come Close ou Sweet Harmony, dédié à ses amis des Miracles, qui continuèrent sans lui), et de mid tempos crépusculaires (The Family Song, Wanna Know My Mind). La voix haut-perchée et diaphane de Robinson fait merveille, notamment dans Just My Soul Responding, quand elle se mêle aux arrangements de cordes…
“Hang On In There Baby” (MGM Records, 1974) du chanteur, auteur et compositeur Johnny Bristol, dont le timbre rappelle celuis du grand Bill Withers, flirte plus volontiers avec cette soul symphonique et un rien baroque popularisée par Isaac Hayes. Pas de chef-d’œuvre ici, mais une poignée de chansons qui font la différence : You And I, I Got Your Number (superbe David T. Walker à la guitare) et, surtout, Woman, Woman.
Avec “Face To Face With The Truth” (Gordy, 1971) de The Undisputed Truth, groupe “inventé” par le compositeur, arrangeur et producteur Norman Whitfield, autre grand visionnaire de la soul cinémascope, on plonge avec bonheur dans le grand bain psychédélique, agité par les héros de studio Motown (Melvin “Wah Wah Watson” Ragin, James Jamerson, Richard Allen…). À la voix veloutée de Joe Harris s’ajoutent celles de Brenda Joyce Evans et Billie Rae Calvin.
Ce trio remarquablement équilibré interprète les compositions du si fécond duo Whitfield-Barrett Strong : You Make Your Own Heaven And Hell Right Here On Earth, Ungena Za Ulimwengu (Unite The World) / Friendship Train ou encore Superstar (Remember How You Got Where You Are) – la longueur des titres réflète le généreux minutage des chansons, qui s’éloignaient du format chanson pour se muer en mini-symphonies. Les mélodies n’étaient sans doute plus aussi fortes qu’à l’époque de I’ve Heard It Throught The Grapevine (chef-d’œuvre de Whitfield et Strong dont Marvin Gaye fit un énorme tube à la fin des années 1960), mais ces ambiances, majestueuses et hypnotiques faisaient tout l’attrait du premier album de The Undisputed Truth, un « mélange », dixit Whitfield au recto de la pochette, « entre Sly & The Family Stone et les 5th Dimension ». On ne saurait mieux résumer.
On continue avec avec le deuxième album solo d’Eddie Kendricks, le méconnu et conceptuel “People… Hold On” de 1972, subtil mélange de soul music amoureuse (son falsetto cristallin fait merveille sur les ballades) et consciente : la fantastique chanson-titre est l’un des trésors du catalogue Tamla-Motown des glorieuses seventies. Rythme africanisant, chœurs tribaux, message social : sa puissance expressive n’avait pas échappé, en 2007, à Erykah Badu, qui l’avait samplée dans “New Amerykah Part One – 4th World War”. Grâce à sa production hyper-soignée, “People… Hold On” est un disque, que dis-je, un album homogène et sans faille, servi par The Young Senators, le groupe qui tournait avec Kendricks, capable de s’élever au niveau de créativité des Funk Brothers (qui jouent sur un seul titre, Date With The Rain).
Le quatrième opus des Commodores, “Hot On The Tracks” (1976) est un petit bijou de groove coquin, d’afro-hédonisme, de slystonitude assummée – pas si éloignée d’Earth, Wind & Fire aussi. Le chant tout en gouaille funky (Come Inside, Quick Draw…) ou en sexy-séduction (Girl, I Think The World About You, Just To Be Close To You…) de Lionel Richie fait office de cerise sur le gâteau (il peut même mélanger la gouaille et la sensualité, cf. High On Sunshine). Un seul classique au programme, Fancy Dancer, mais qui ne fait pas office d’arbre qui cache la forêt, car “Chaud Sur Les Rails” groove à une excellente vitesse de croisière sur la voie de l’inspiration.
Idem pour les deux classiques inoxydables et millésime 1974 des Ohio Players, “Skin Tight” et “Fire” (deux disques de ce niveau dans la même année, quelle époque !). Comment se lasser de ce funk à la fois sensuel et macho, puissant et subtil ? Teinté de rock et de jazz ? Impossible. Avec “Honey” (qu’on aimerait voir réédité dans cette collections), ces deux albums cultes d’un groupe qui ne l’est pas moins doivent impérativement faire partie de toute discothèque qui se respecte.
Enfin, on terminera à l’ombre du Godfather Of Soul, du Hit Man, du Minister Of New New Super Heavy Funky, Mister Jaaaaaames Brown, avec deux side projets réalisés sous sa supervision : le fameux “Doing It To Death” des J.B.’s d’abord, avec ses titres à rallonge (genre You Can Have Watergate Just Gimme Some Bucks And I’ll Be Straight...) et ses tourneries hypnotiques, souvent copiées mais jamais égalées et incarnées par les meilleurs sidemen du patron (cela va de soi).
Puis “Breakin’ Bad” (rien à voir avec la série télé) de Fred [Wesley] & The New J.B.’, peut-être pas aussi (re)connu, mais pas moins essentiel – même quand il n’est pas majeur, un album de cette époque hanté par le génie de James B. est forcément indispensable. Ecoutez, par exemple, Little Boy Black… •
À écouter
The Undisputed Truth : “Face To Face With The Truth” (Gordy, 1971)
Smokey Robinson : “Smokey” (Tamla, 1973)
Eddie Kendricks : “People… Hold On” (Tamla, 1972)
Johnny Bristol : “Hang On In There Baby” (MGM Records, 1974)
Ohio Players : “Skin Tight” (Mercury Records, 1974)
Ohio Players : “Fire” (Mercury Records, 1974)
The J.B.’s : “Doing It To Death” (Polydor, 1973)
Fred & The New J.B.’s : “Breakin’ Bread” (Polydor, 1974)
Commodores : “Hot On The Tracks” (Motown, 1976)
Mark-Almond : “Other Peoples Room” (A&M, 1978)
Également disponibles :
Barry White Love Unlimited The Love Unlimited Orchestra : “Together Brothers” (Century Records, 1974)
Lou Rawls : “Soulin’” (Capitol, 1966)
Ramsey Lewis : “Mother Nature’s Son” (Cadet, 1968)
Ramsey Lewis : “Them Changes” (Cadet, 1970)
Rare Earth : “Get Ready” (Motown, 1969)
Jimmy Ruffin : “The Groove Governor” (Soul Records, 1970)
Four Tops : “Still Waters Run Deep” (Motown, 1970)
Directeur de publication : Édouard RENCKER
Rédacteur en chef : Frédéric GOATY & Christophe GEUDIN
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