Avec la collection “Warner Japan Soul, Jazz & Fusion”, Warner Music France importe du Japon des dizaines de pépites sonores. Doc Sillon en a passé quelques-unes au tamis.
Quand, en 1990, les rappeurs finauds de A Tribe Called Quest sortirent leur premier album, “People’s Instinctive Travels And The Paths”, bien peu d’entre nous avaient remarqué qu’ils avaient samplé deux foix le même passage de “Headless Heroes Of The Apocalypse” (le sample de Walk On The Wild Side de Lou Reed dans Can I Kick It ? était évidemment mille fois plus facile à repérer). “Headless Heroes Of The Apocalypse” est le deuxième album d’Eugene McDaniels pour Atlantic, et Q-Tip et sa bande de hipsters hip-hop y avaient donc échantillonné l’intro de Jagger The Dagger pour agrémenter After Hours et Bonita Applebum. Aux Etats-Unis, Eugene McDaniels n’est pas vraiment un artiste populaire, mais le grand public connaît pourtant par cœur quelques-unes de ses chansons, notamment celles interprétées par Roberta Flack, Compared To What (qui ouvrait son premier album, “First Take”) et Feel Like Makin’ Love (“Feel Like Makin’ Love”, 1975).
Au début des années 1970, lassé de n’être qu’un chanteur soul parmi d’autres, ce grand amateur de jazz (il a fait la première partie de Miles Davis et de Cannonball Adderley, qui l’avait surnommé “oreilles d’éléphant”) a eu la bonne d’enregistrer deux brûlots pour Atlantic, “Outlaw” (en 1970) et, donc, “Headless Heroes Of The Apocalypse”, le plus réussi des deux, même si “Outlaw” est loin d’être négligeable, ne serait-ce que pour Reverend Lee, que reprendra aussi Roberta Flack.
Si “Headless…” dépasse “Outlaw”, c’est parce que les huit chansons sont propulsées par une section rythmique d’exception, enlistée par feu le producteur Joel Dorn : Alphonse Mouzon à la batterie avec Miroslav Vitous à la contrebasse (soit la première section rythmique de Weather Report !) ou, selon les titres, Gary King à la basse électrique (l’un des bassistes favoris de Marcus Miller). Les “classiques de l’ombre” abondent : The Lord Is Back, Jagger The Dagger (paroles sublimes, sorte d’hommage sardonique à la “négritude” du lippu chef d’entreprise des Rolling Stones), Supermarket Blues, Freedom Death Dance, Lovin’ Man autant de protest songs aux paroles à la conscience sociale aiguisée et aux groove profonds. Mais outres ses influences jazz (Harry Whitaker, le pianiste et arrangeur, était un proche de Roy Ayers), “Headless…” est aussi traversé par l’esprit du folk contestataire, et l’on songe plus d’une fois à Bob Dylan en écoutant Eugene McDaniels (écoutez Supermarket Blues).
Alertés par les textes de McDaniels, qu’ils jugeaient scandaleux, quelques sbires de l’administration Nixon contactèrent la direction d’Atlantic pour leur demander poliment – mais fermement – de mettre le hola sur la promotion de ce disque qui, pour eux, était quasiment un appel à l’insurrection ! C’est dire à quel point “Headless Heroes Of The Apocalypse” est un indispensable témoin de son temps, une œuvre qui n’a pas pris une ride.
Doc Sillon
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