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Rétrospective

Led Zeppelin & “Physical Graffiti”, #5

C’était il y a quarante ans, le 25 février 1975. “Physical Graffiti”, le sixième (et double) album de Led Zeppelin commençait de squatter les facings des disquaires. Depuis, il ne les a jamais quitté. Jimmy Page vient d’en superviser la réédition ultime. Voyons voir ça, épisode #5.

Comme la première, la seconde face de “Physical Graffiti” comporte trois chansons. Si “Physical Graffiti” n’avait été qu’un 33-tours simple, et non double – pour ça, il aurait fallu qu’Atlantic ait des moyens de pression sur Led Zeppelin, et ils n’en avaient quasiment AUCUN, surtout depuis Peter Grant et ses quatres boys avaient créé leur propre label, Swan Song… –, hé bien, ces six titres auraient déjà largement comblé les fans et la critique (pour une fois).
Les trois chansons de la seconde face de “Physical Graffiti” sont donc, dans l’implacable ordre d’apparition :

Houses Of The Holy
Enregistrée en 1972 entre Londres (Olympic Studios) et New York (Electric Lady Studios), et prévue, comme son titre l’indique, pour l’opus précédent de Led Zeppelin, celui qui portait son nom. Une décision inexplicable, et inexpliquée nous semble-t-il, House Of The Holy étant largement supérieur, par exemple, à D’Yer Maker… (Imaginez que l’une des chansons de “Wish You Were Here” de Pink Floyd s’intitule Dark Side Of The Moon : troublant, n’est-il pas ?) Cela dit, la présence de House Of The Holy dans “Physical Graffiti” ajoute, si besoin était, un peu de ce mystère ledzeppelinnien, que Page et ses compères savaient si savamment distiller. “More cowbell ! I want more cowbell ! I like what I hear, but I want more cowbell.” : vous connaissez forcément ce sketch du Saturday Night Live dans lequel l’hilarant Christopher Walken joue le rôle d’un producteur rock qui veut toujours plus de cloche. Dans ce sketch, les zozos du SNL interprètent – en playback, of courseDon’t Fear The Reaper de Blue Öyster Cult, une chanson dans laquelle la cloche joue effectivement un rôle clé. Un rôle encore plus important que dans Houses Of The Holy : c’est dire ! D’aucuns disent que la cloche a été ajoutée dans Houses Of The Holy pour couvrir le bruit de la pédale de grosse-caisse, qui, encore une fois, grinçait comme la plus vieille porte de la Headley Grange… (Mais pas autant que dans Since I’ve Been Loving You quand même…) Quoiqu’il en soit, Houses Of The Holy est une chanson lumineuse, limite primesautière, griffée par un riff attrape-tympan, propulsée par un groove syncopé, presque instable (ah !, le pied droit de Bonham !). Dans l’esprit de Plant, les Houses Of The Holy étaient les salles de concert dans lesquelles Led Zeppelin se produisait. Pourtant, comme l’ont fait remarquer de nombreux spécialistes (Chris Welch, Dave Lewis, Gregg Akkerman…), Houses Of The Holy n’a jamais été jouée live

LZ PG 40 Trampled Underfoot 45t 1Trampled Underfoot
Aux Etats-Unis, les blues dont les lyrics ont un explicit double sens sont légions. Les femmes y sont parfois confondues avec des voitures, et la différence entre l’organique et le mécanique relève de la métaphore plus ou moins… méatphorique. Dans Trampled Underfoot, Robert Plant, dont le permis lui permet de conduire toutes sortes de véhicules – mêmes ceux qui ne lui appartiennent pas –, jouit sans entrave de la liberté d’expression associée à cette vieille tradition poétique afro-américaine. Il aligne les métaphores pied au plancher, il met le turbo dans tous les sens, n’est jamais à cours d’essence. Ses démarrages sont foudroyants, et il ne cale jamais. “Trouble-free transmission / Helps your oil’s flow / Mama let me pump your gas / Mama let me do it all / Baby let me check your points / Fix your overdrive” : vous voyez, pas besoin de contrôle technique le Robert… (Vous a-t-on donné envie de relire attentivement les paroles de Trampled Underfoot ?)
On entend souvent, de ci de là, dire que via la mémorable partie de clavinet signée John Paul Jones, l’influence de Stevie Wonder est ici assez forte. C’est vrai. Quoique : Trampled Underfoot évoque certes Superstition, mais plutôt la version enregistrée en 1973 par Jeff Beck, Tim Bogert et Carmine Appice (certes en mieux, en beaucoup mieux). Le funk selon Led Zeppelin est indéniablement puissant, profondément enraciné dans le groove (on ne compte plus les musiciens afro-américains fans de Led Zeppelin), mais ouvre plus sûrement un boulevard de bitume en fusion à Mother’s Finest et Living Colour qu’il ne se situe dans la tradition de Stevie Wonder, Sly & The Family Stone ou Funkadelic. Question de culture, d’origine : de vérité. Cela dit, « Who said a heavy rock band can’t play funk ? ». Pas nous.

LZ PG 40 Rubik's CubeKashmir
Se lassera-t-on un jour de Kashmir ? Rien n’est moins sûr. Comme tous les monuments qu’on a visité maintes et maintes fois, on croit en connaître par cœur toutes les pièces, la décoration, les coins et les recoins secrets, l’odeur, la température ambiante… Pourtant, à chaque fois qu’on le revisite, surtout malgré soi (à la radio, chez un ami ou chez un disquaire), l’impression est toujours la même : ce genre de monument dédié à la splendeur sonique serait impossible à reconstruire tel quel aujourd’hui, voire à imaginer – ce qui est somme toute encore plus angoissant… Avec Whole Lotta Love (surtout depuis que la pub Dior…) et Stairway To Heaven, Kashmir est le morceau le plus identifiable de Led Zeppelin. Kashmir, C’EST Led Zeppelin. L’aboutissement suprême de la quête de Jimmy Page, l’ombre et la lumière, la subtilité et la puissance, la majesté et la violence. Comment oublier ce riff cyclique et hypnotique qui monte, qui monte ? Comment oublier ces vagues de cordes et et de cuivres ? (L’une des rares fois ou des musiciens additionnels jouent sur un disque de Led Zeppelin, et d’ailleurs, à quatre, sur scène, notre quatre rocks gods peinaient un peu à faire revivre les splendeurs orchestrales de la version studio. Il faudra attendre la version de 1994 dans “No Quarter – Unledded” de Page & Plant pour retrouver les frissons du grand large.) L’orientalisme façon Led Zeppelin préfigure tout un pan de la world music. Page a travaillé de longs mois sur Kashmir. C’est son chef-d’œuvre de compagnon. Qu’il n’aurait jamais achevé sans ses trois autres compagnons.
Les paroles de Kahsmir sont peut-être les plus belles jamais écrites par Plant, qui n’a jamais caché sa fierté pour ce morceau. Sa voix éraillée fait merveille d’un bout à l’autre : sous la voûte céleste, sa lumière nous guide dans le désert.
Les arrangements de cordes et de cuivres de John Paul Jones nous rappellent qu’il a été lui aussi un musicien de studio et un arrangeur très demandé dans les années 1960.
Et puis il y a John Bonham, qui ne gifle pas ses cymbales, qui ne frappe pas sur ses fûts et qui ne fait pas vibrer sa grosse-caisse avec ses bras et ses jambes, non, mais bien avec des marteaux qui lui auraient, raconte-t-on, été prêtés les Dieux du Rythme. Dans Kashmir, John Bonham est absolument phénoménal. Le son, le phrasé, le toucher, la précision, l’énergie, la souplesse, la force, la manière dont il entre en osmose avec la musique, dont il en est la clé de voute, le pilier central, le cœur battant, ont de quoi laisser pantois – et pantelant – d’admiration.

Et dire qu’il reste encore deux faces à explorer…

Frédéric Goaty & Julien Ferté [A suivre]